Colloque international

vocalités contemporaines 3

La Beaudelie – du 13 au 15 juin 2022

 

Ce que dit la voix

Sixièmes rencontres de la tour de guet 

 

Des œuvres comme Visage, la Sequenza III ou A-Ronne de Luciano Berio, les Aventures de György Ligeti, Nuits de Iannis Xenakis ou les Maulwerke de Dieter Schnebel ont clairement proposé une nouvelle approche de la vocalité musicale. Outre l’effet d’aggiornamento d’une tradition très élaborée, pour ne pas parler, comme c’est le cas autour de l’opéra, d’un véritable culte de la vocalité, de telles œuvres ont remué la conscience de ce dont la voix était capable, non sans parfois un certain sens de la cruauté, au sens d’Antonin Artaud. Car la vocalité contemporaine s’est aussi pensée comme non-chant – avec le sprechgesang de Schönberg, déjà – et comme neutralisation de l’élément lyrique devenu impitoyablement obsolète. D’autre part, la musique populaire, et en particulier le Gospel et le Jazz, mais aussi tous les enregistrements qui ont rendu compte de la diversité des techniques d’émission vocale pratiquées autour de la planète, depuis le chant diphonique mongol jusqu’aux accents des inuits, ont donné une idée de l’immense étendue des possibilités phonologiques de l’organe vocal humain. Les outils de l’électroacoustique et toute l’analyse qui a été faite de ce phénomène tellement complexe ont également produit une image bien plus précise de tous les enjeux liés à la production vocale.

Il y a quelque chose de très particulier dans l’idée d’écrire pour la voix aujourd’hui. D’abord parce que le champ de référence du possible vocal parait s’être élargi démesurément, mais aussi parce que la difficulté concrète de mobiliser ces possibilités est bien réelle, pour un instrument qui relèvera toujours de l’intimité d’un musicien d’une manière bien plus radicale que pour tout autre moyen de production sonore.

En réunissant des musicologues, des psychologues spécialistes de la voix, des chanteurs rompus au répertoire le plus contemporain, et des compositeurs en recherche dans le domaine de la vocalité, on tentera de mieux comprendre non pas ce que la voix dit, comme énoncé performatif, textuel, mais ce que dit la voix, en deçà et au delà des possibilités de la composer.

Lundi 13 juin 2022

     

10h00 Introduction : Irène Bourdat – Jean-Marc Chouvel

10h10 Jean-Marc Chouvel (Professeur IReMus) Synthèse du texte et de la parole (conférence de Reims)

Comment se noue le sens dans l’intermodalité où le langage est embarqué ? Comment la création navigue-t-elle aujourd’hui entre ces aspects d’une vérité qui, du souffle de la parole à celui de l’esprit, ne cesse d’échapper ? La composition n’est plus seulement une affaire de latéralité entre objets : elle joue de strates qui s’irradient l’une l’autre et proposent un tissage de sémioses complexes. En interrogeant “ce que dit la voix” le récitant de cette conférence audio-visuelle essaie de jeter un regard sur la fausse évidence de notre rapport à la voix chantée.

 

11h00 Dominique Perrouault (psychologue) La structure de soi dans l'échange vocal

Dans les premiers mois du développement psychogénétique du nourrisson, les échanges vocaux avec la mère sont le support de l’élaboration de la structure du soi. Ce sont les échoïsations vocales interactives qui sont le lieu de cette construction, antérieurement à l’avènement du moi. Le vécu associé à ces activités intègre une temporalité qui permettra de développer les anticipations nécessaires à une pensée projective. La voix tient, dans cette évolution, une place essentielle et première.

14h30 Marie Soubestre (chanteuse, doctorante IReMus) Hans Eisler : d’un rapport hétérogène au texte

Hanns Eisler, sorte de canard boiteux de l’école de Vienne, brillant élève de Schoenberg mais résolument communiste révolutionnaire, a toujours considéré que l’avenir de la musique se trouvait dans la musique vocale. La musique « absolue », qui trouve sa fin en elle-même, est indéniablement celle, très récente, de la bourgeoisie. L’écriture vocale de Eisler n’est pas apparemment révolutionnaire (rien que de très classique et très sobre), et pourtant elle suscite chez l’interprète et le spectateur des « attitudes » dira Brecht, et non pas des « mimiques ». C’est notamment parce qu’il sait « résister au texte », peut-être la seule de ses qualités dont il parle avec fierté. Quelles leçons y a-t-il à tirer pour nous, interprètes contemporains, de cette approche résolument éthique de l’écriture vocale ?

15h30 Irène Bourdat (chanteuse, enseignante associée Sorbonne-Université, chercheuse associée, IreMus) Glossaires et Notations : l’écriture de la voix et sa lecture

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, la voix est au cœur de la création musicale contemporaine. Les recherches de Luciano Berio, et de ce que Cathy Berberian a appelé la Nuova vocalità ont fortement influencé l’écriture vocale. Ces nouvelles vocalités : modes d’émission non conventionnels (modification du timbre, bruits vocaux, rires, désarticulation du texte, micro-intervalles… engendrent des notations que l’interprète doit décrypter. Quelle est l’évolution des systèmes de notation depuis le glossaire de la Sequenza III de Berio? Comment ont été transcrites les nouvelles vocalités dans les œuvres de la fin du XXe siècle et du début du XXIème siècle? À travers le filigrane de cette diversité des émissions vocales, nous  tenterons  d’apporter une contribution à l'écriture de la voix contemporaine et à sa lecture.

20h30 Concert
       

Hanns Eisler (1898-1962), œuvres vocales, 

Marie Soubestre, soprano, Manuel Gaulhiac, piano.

Luciano Berio (1925-2003), Sequenza III (extrait)

Irène Bourdat, soprano

Florence Baschet (née en 1955), Femmes (extrait)

Roula Safar, mezzo soprano

Georges Aperghis (né en 1945)  Monomanies (extraits - textes de Louise Labé)

Irène Bourdat, soprano

Synthèse performative de la voix chantée

Boris Doval (MdC - LAM, SU) – Xiao Xiao (Chercheuse, théréministe)

 Mardi 14 juin 2022

      

10h00 Jan dau Melhau (chanteur, écrivain) L’expérience de la voix dans le rapport à la culture

La culture occitane est une très ancienne culture du chant, et développe un rapport précis et particulier à la langue. Jan dau Melhau, dont le répertoire va de la chanson à texte contemporaine aux troubadours témoignera de cette recherche intime qui permet de plonger la connaissance de cette très ancienne culture dans l’actualité d’une interprétation. 

11h00 Roula Safar (mezzo-soprano) De la technique lyrique aux techniques vocales extra-européennes, en passant par le parlé et le parlé/chanté

L’intervention tentera d’expliquer à l’aide de démonstrations, à partir de la technique du chant classique occidental ou chant lyrique, dite sur le souffle, d’autres techniques extra-européennes qui demandent souvent plus d’appui sur le larynx, selon les styles et les langues. En tenant compte à chaque fois des différents paramètres mis en jeu, on peut préserver la voix, si on veut chanter très longtemps, voire parler avec une voix claire et tonique. La respiration profonde est le dénominateur commun pour toutes les techniques vocales, chantées et parlées.

       

14h30 Pierre-Eugène Sitchet (chanteur, docteur, IReMus) L’improvisation vocale: enjeux et contextes

Pratique créatrice inscrite dans l’immédiateté, l’improvisation vocale exige de la part du vocaliste une profonde connaissance du phénomène sonore ainsi qu’une bonne maîtrise de l’instrument-voix.

Cette communication examine les défis auxquels est soumis le chanteur dans la pratique de cet exercice et met en lumière les complexités propres aux différents contextes musicaux (jazz, musiques traditionnelles…) dans lequel pourrait se trouver le vocaliste.

15h30 Boris Doval (MdC - LAM, SU) – Xiao Xiao (Chercheuse, théréministe) – Grégoire Locqueville (doctorant LAM-SU) – Christophe d'Alessandro (DR CNRS, LAM, SU) La synthèse performative de la voix chantée : geste et interprétation

La connaissance de la vocalité passe, au vingt-et-unième siècle, par la capacité de synthèse du chant avec un résultat sonore crédible. Si l’on connaît bien les progrès réalisés sur la voix parlée, les problèmes très spécifiques que pose la synthèse de la voix chantée sont moins bien connus. Les évolutions récentes des recherches menées au LAM autour du contrôle gestuel de la synthèse vocale performative nous apprennent beaucoup de choses sur ce qu’attend notre oreille de la vocalité. La capacité de produire en temps réel une voix de synthèse expressive et contrôlée par le geste fait des systèmes développés au LAM de véritables instruments à part entière, des “instruments chanteurs” pour lesquels une technique particulière doit être développée et travaillée dans l’optique d’un résultat musical. L’avantage de ces instruments chanteurs est que les gestes vocaux sont extériorisés, permettant leur visualisation et leur explicitation, et que de plus étant associés à des paramètres séparés de la production vocale (tels que la hauteur, l’effort vocal, le rythme syllabique) il devient possible d’analyser finement leurs variations et leurs relations, à la fois à partir des traces que fournit le processus de synthèse mais aussi par l’exploration du travail explicite du musicien sur chacun de ces paramètres. Cette approche s’appuie donc clairement sur le paradigme d’analyse par la synthèse, requalifié ici d’analyse par la synthèse performative (puisqu’il s’agit de synthèse en temps réel contrôlée par le geste du musicien).

C’est donc bien du rapport entre geste et interprétation qu’il sera question ici, et de ce que cette étude peut apporter à l’explicitation des relations entre paramètres du geste vocal de façon générale.

Seront présentés les instruments chanteurs de la famille VOKS :  T-VOKS, utilisant le thérémine pour le contrôle gestuel, et  C-VOKS utilisant, lui, la tablette graphique comme interface de contrôle gestuel, les deux instruments contrôlant le moteur de synthèse vocale VOKS, développé dans le cadre de la thèse de Grégoire Locqueville.

20h30 Concert

    

François-Bernard Mâche (né en 1935), Trois chants sacrés: Muwatalli, Rasna, Maponos

Roula Safar, mezzo soprano et Irène Bourdat, soprano

Gino Sitson, Katcha

Gino Sitson, voix

Karim Haddad (né en 1962), Pièce en grec (pour voix et électronique)

Roula Safar, mezzo soprano

Valentin Silvestrov (né en 1937), Postludia

Irène Bourdat, soprano, Manuel Gaulhiac, piano

Mercredi 15 juin 2022

    

 

10h00 Alan Riou (chanteur, doctorant Université de Poitiers/IReMus) Le chœur Mikrokosmos: la voix du chœur contemporain et les interactions intermédiatiques.

Les nouvelles possibilités offertes par la vocalité contemporaine ne pouvaient pas rester éloignées très longtemps du répertoire choral. Dès lors que le travail vocal a pris en compte le corps dans son ensemble à la fois d’un point de vue technique et esthétique, la porte s’est ouverte à une autre approche de la vocalité en groupe. Ces ouvertures issues notamment du théâtre oriental, comme le décrit Artaud au sujet du théâtre balinais, ont finalement pu atteindre la pratique scénique occidentale impliquant des interactions intermédiatiques au sein desquels les frontières entre voix chantée et voix théâtrale sont devenues de plus en plus poreuses, renforçant un désir d’interactions. Dès lors, les genres artistiques tout comme diverses esthétiques semblent pouvoir dialoguer aisément dans l’espace de la scène musicale et théâtrale. C’est le fer de lance du Chœur Mikrokosmos, créé en 1989, dont le directeur artistique et chef de chœur, Loïc Pierre, personnage lui-même en proie à l’intermédialité, s’entoure de collaboratrices et collaborateurs qui le sont tout autant. L’un des partenariats marquant profondément la démarche de Mikrokosmos depuis de nombreuses années est celui réalisé avec la compositrice et interprète minimaliste américaine Meredith Monk, une personnalité tout autant intermédiale. Ainsi, en transformant la pratique chorale au contact du langage théâtral de nombreuses questions esthétiques et sémiotiques se posent qui peuvent aller jusqu’à bouleverser l’appréhension des œuvres elles-mêmes.

11h00 Christine Bertocchi (chanteuse, improvisatrice, pédagogue, praticienne de la technique Feldenkrais) L’improvisation vocale, outil pédagogique et choix esthétiques

L’improvisation vocale est de plus en plus abordée dans les différentes formes de pédagogie vocale. Elle peut être employée comme un chemin pour découvrir de nouvelles vocalités, nécessaires pour aborder certains répertoires contemporains notamment, pour consolider ou contourner des éléments de technique vocale, ou pour amener les vocalistes à créer leurs propres musiques de l’instant et déployer leurs personnalités artistiques. Portée par un goût prononcé pour les aventures musicales hors des sentiers battus, Christine Bertocchi partagera durant cette intervention diverses approches, issues de sa pratique pédagogique inspirée des démarches somatiques, du théâtre et de la danse contemporaine. Les liens corps et voix, la connaissance des éléments techniques, l’utilisation de l’ensemble des registres vocaux  et une certaine appétence pour la prise de risque seront développées. De la poésie sonore au théâtre musical, d’un travail sur les textures vocales à la composition instantanée, du langage imaginaire à la fabrication de formes chantées, c’est un vaste terrain de jeux qui sera décrit et expérimenté. L’écoute collective, la mémoire sonore ainsi que l’imaginaire de chaque vocaliste sont autant de portes d’entrée que l’improvisation permet de stimuler à différents niveaux.

       

14h30 Janice Isabel Jackson (vocalist) The music as a child discovering the world for the first time

The voice is a miracle of nature.  We have thousands of sounds at our disposal.  How do we, in a safe way, access the many sonorities which the voice is capable of?  

This session will explore this topic through improvisation, performance, and demonstration.

15h30 Silvia Alvarez Baamonde (à distance)  La Voix chez Tom Johnson ou le paradoxe de l’homme-machine

Avec une douzaine d’opéras à son actif, plusieurs recueils pour voix parlée et un oratorio, Tom Johnson s’érige en porte-drapeau d’une vocalité minimaliste aux parfums néoclassiques. Son écriture ouvertement mozartienne réactualise l’idéal belcantiste et tourne le dos aux expérimentations contemporaines autour des techniques étendues. Loin de tout repli passéiste, ce retour aux sources du chant lyrique amène une réévaluation du statut de l’interprète. En proie à l’humour johnsonien, la prima donna perd sa suprématie, le primo uomo est réduit au silence et la coloratura belcantiste devient caricature du virtuose romantique. Contre le narcissisme, l’anonymat. Contre le sentiment, la vérité logico-mathématique. Face à la rhétorique du tape-à-l’œil, Tom Johnson prône une virtuosité de l’exactitude, aux frontières de l’humain, où le vague et le flou ébranlent la vérité de l’œuvre. Cette précision sans concession imposée par le compositeur donne naissance au paradoxe de l’homme-machine : dépouillé de sa subjectivité pour devenir mécanisme, l’interprète johnsonien découvre enfin son identité première.  

16h30 Table ronde animée par Jean-Marc Chouvel et Anne Boissière (à distance)

 

20h30 Concert

John Cage (1912-1992), Living-Room Music – A story,  Wonderful widow of eighteen springs

Les participants du colloque

Jacques Rebotier (né en 1950), Essais d’insolitude, Je préfère les fleurs, Brèves pour pianiste parlant

Les participants du colloque

Georges Aperghis (né en 1945), Récitations, Conversations, extraits de Zig Bang

Les participants du colloque

Philippe Leroux ​​(né en 1959), Ma belle si tu voulais (extrait)

Irène Bourdat, soprano

Janice Isabel Jackson, Voice Dance 1

Janice Isabel Jackson, soprano

Marie Pelletier (née en 1959), Han No. 3

Janice Isabel Jackson, soprano

Improvisation collective 

Les participants du colloque