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Journées d’étude Philosophie/Musique |
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Programme détaillé | ||
Lundi 12 juin septièmes rencontres de la tour de guet |
Dans la musique, un orchestre réunit des musiciens, avant-même qu’ils ne jouent. Le fait de jouer ensemble dans une performance constituera leur « être-nous » instrumentalement. D’une certaine manière, ce sont les instruments qui les font jouer ensemble. En même temps, « nous » ne représente pas les « instruments », mais le medium d’une participation collective. Mais qu’est-ce qu’« être-nous » ? Nous examinerons le statut du « nous » selon différentes dimensions, non réductibles à un pluriel de « je » : « nous » fait sortir d’une forme déguisée de solipsisme. Non seulement « dire nous » n’est pas « être nous », mais il convient de s’interroger sur la légitimité de la question « qui est nous ? ». « Nous » est un pronom, et non le nom propre d’entités personnelles. Entre « Chaque son dit nous » (Adorno) et « tout un monde se trouve dans une petite phrase » (cf. Wittgenstein), il peut y avoir place pour nombre d’interprétations différentes. Une proposition se dessine malgré ces multiplicités d’approches : celle que l’œuvre détermine, par l’objectivité de ses formes, l’opération de « faire nous » dans la musique, lui donnant une consistance qui évite les pièges dans lesquels fait tomber l’opposition toute théorique entre sujet et objet. Il s’agit alors de cerner les conditions sous lesquelles un « faire nôtre » est pragmatiquement possible, d’où peut résulter un langage, un collectif, une institution… On dit « faire nôtres » les gestes de l’œuvre (jouée, fabriquée, entendue) comme « faire nôtres » des significations dont on use et que l’on partage mais aussi auxquelles on contribue pour en créer de nouvelles. À quoi reconnaître alors « nous » comme « contributeur » ? Si l’on admet que la réponse tient davantage dans le résultat que dans d’hypothétiques conditions de possibilité a priori, force est d’examiner le processus par lequel opère cette incorporation ou assimilation, et comment il accompagne le partage de nouvelles formes et possibilités de sens, en particulier dans l’art. Introduction : Antonia Soulez – Charles David Wajnberg Charles-David Wajnberg (compositeur) Les affinités musicales Il peut apparaître à tout musicien l’inadéquation entre les mots de la philosophie et l’expérience qui le relie à ce qui constitue son Umwelt : interprètes, auditeurs, pairs ou modèles. Dans ma pratique de compositeur, un compagnonnage avec les sciences du vivant, dont la distance à la logique et au langage a souvent dérouté les philosophes des XIXe et XXe siècle, a porté à mon attention des modèles plus opératoires, même au risque d’un certain relativisme, où la reproduction et la métabolisation placent le lien musical sous le régime de la variabilité et des affinités. De Goethe à Jean-Jacques Kupiec, en passant par Walter Benjamin, nous essaierons de mettre à l’épreuve un édifice relationnel débarrassé d’une logique de l’institution, au profit d’un mécanisme d’évolution mutuelle considérant sans hiérarchie les individus et les œuvres, le vivant et la technique.
Je souhaiterais à partir d’un cas concret (la pratique musicale dans les camps de migrants, que j’ai pu étudier lors de travaux communs avec une équipe d’anthropologues et d’ethnomusicologues, cités infra), explorer la capacité de la musique à créer de fortes relations entre musiciens en court-circuitant tout à la fois la narration et le temps long en principe nécessaire aux relations approfondies entre personnes. Je souhaite creuser à partir de cette étude dans quelle mesure le fait d’être musicien constitue un avantage personnel dans ce type de situation difficile où la construction d’un certain type de présent spécifique partagé, liée à la maîtrise cérébrale et corporelle exigée par la pratique de la musique, est d’une importance cruciale. Cette capacité de la musique n’est-elle pas obscurcie par notre habitude de comprendre en général la musique comme un acte d’expression s’adressant à un public sur le modèle d’une activité de communication ? Nous souhaiterions ainsi, à partir de cette fonction spécifique, interroger la nature de la musique à partir de la densité énigmatique du moment musicien partagé. Bibliographie : LABIA, Julien, « Music in migrant camps as a medium creating non-narrative relationships », in Crossings Journal of Migration and Culture, 2021, p. 347-360. (https://intellectdiscover.com/content/journals/10.1386/cjmc_00036_1) LABIA, Julien, « Pitié dangereuse et risque de déshumanisation : approche philosophique de certains présupposés situationnels sur la musique des migrants », in : Cahier d’Ethnomusicologie, 32/0219 : « Migrants Musiciens », p. 27-42. (https://journals.openedition.org/ethnomusicologie/3538)
Le mot « écriture », en français, ne désigne pas seulement la fixation de la langue dans un système de représentation graphique ; l’usage y agrège volontiers le style, la technique, la pensée et la dynamique signifiante qui traverse la création artistique d’intérieur en extérieur. Il en va de même pour l’« écriture musicale », qui définit a minima la notation, mais aussi l’art de la composition, compris depuis ses principes de facture jusqu’à la profondeur de son intention. L’ambivalence spécifique de ce terme trace les contours d’un concept relationnel. Celui-ci implique en premier lieu un dépassement du dualisme naïf du son et du signe, qui ramène la partition au simple réductionnisme graphique d’un contenu musical extérieur à elle-même en faisant fi du mouvement de rétroaction du médium par lequel l’écriture, loin d’être neutre, s’articule à une pensée historiquement et collectivement constituée. En second lieu, le fait que, depuis le tournant du XXe siècle, l’écriture distingue, dans le domaine musical, tout à la fois la pratique scolaire de l’harmonie et du contrepoint et le style propre à l’artiste, c’est-à-dire les pointes extrêmes de la communauté et de la singularité créatrices, nous portera à rapprocher sa définition de celle qu’en donne Roland Barthes dans le domaine littéraire : « Langue et style sont des objets ; l’écriture est une fonction : elle est le rapport entre la création et la société […] ». De là, nous observerons certaines correspondances de cette conception avec la dialectique du matériau de Theodor W. Adorno, qui, mettant l’acte compositionnel aux prises avec les tensions sociohistoriques contenues dans la technicité même de ses opérations, scelle l’écriture musicale à un engagement intersubjectif. Jean-Marc Chouvel (IReMus – Sorbonne Université) L’un et le multiple : aux fondements de la notion de composition On trouve chez Schœnberg ou chez Adorno l’esquisse de l’idée que le système musical serait une métaphore du système social. Outre que derrière cette métaphore, se cache l’usage, pragmatique ou symbolique, qu’une société donnée fait de la musique, il est également possible d’interroger la place qu’elle occupe et le poids qu’elle prend à l’heure de composer. On voudrait explorer ici un aspect particulier, mais sans doute déterminant, de cette métaphore : la relation entre l’un et le multiple. On partira d’un modèle conceptuel de l’œuvre musicale, issu des travaux de l’analyse cognitive, qui permet de comprendre l’articulation forme-structure-organisation comme constitutif à la fois de la production et de la saisie des propositions musicales, pour montrer comment ce problème irrigue de nombreux aspects des choix compositionnels inhérents au travail de la matérialité du son et de la temporalité. La manière dont se dessine le rapport de l’un et du multiple devient alors le signe d’une sémantique fondamentale de la musique. Jean-Marc Chouvel, XI, pour ensemble à cordes
L'idée de ce dialogue entre Roula Safar, chanteuse mezzo-soprano et instrumentiste, compositrice , en somme « une troubadoure », et Lætitia Petit, musicienne et universitaire, consiste à approcher les logiques implicites du geste artistique de Roula Safar, qui priorise la multiplicité par les fonctions - de métamorphoses, du souffle, des langues, etc. - contre LA place et l'identité. |
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Lundi 12 juin 20h30 dans le cadre des journées d'étude Faire nôtre la vie des sons |
Antonia Soulez, poésie, Roula Safar, voix, percussions Jean-Marc Chouvel, Clarinette Improvisation Olvier Messiaen, premier prélude, La Colombe, avec la couleur « orangé, veiné et violet » Wendi Xiao, piano |
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mardi 13 juin septièmes rencontres de la tour de guet |
Lætitia Petit (Université d’Aix-Marseille) Le je ou le nous, quel sujet ? Si le « nous » ne renvoie à aucun concept ou notion psychanalytiques, force est de constater que Psychologie des foules et analyse du moi (1021), L’avenir d’une illusion (1927) ainsi que Malaise dans la civilisation (1929) entre autres propositions, sont pourtant des ouvrages freudiens fondamentaux pour penser une articulation entre le « je » et le « nous ». Lacan radicalise à sa manière le geste freudien en faisant de la langue la condition du sujet – le sujet est alors un effet de la langue – et en définissant le social comme une traduction de l’inconscient (« L’inconscient c’est le social »). À l’instar de l’argument qui nous relie ces deux jours sur cette question du je et du nous, isoler un « je » d’un « nous » à l’intérieur du paradigme psychanalytique est incongru. Les sons étant aussi bien déterminés par une vie interne que par leurs rapports entre eux, la question de Faire nôtre la vie des sons sera traitée à partir de la vie de la langue verbale et du "langage" musical –, selon que les éléments qui permettent l’articulation de la langue ou du "langage" font lien ou font barrage à la construction signifiante. Des exemples viendront étayer mon propos. Wendi Xiao (IReMus - Sorbonne Université) Pourquoi l’être-nous ? Réfléchir à l’aura de la musique du corps virtuel Adorno, en abordant l'absence de la vérité sur l’être posé (Wahrheit über ihr Gesetztsein), inhérente à une certaine partie de la musique moderne, affirme que « l'allergie à l'aura est inséparable de l’inhumanité naissante. » (1974:142). Cependant cette notion, l’aura, a provoqué une crise de légitimité de la performance, notamment de nos jours où des technologies « surhumaines » de création musicale, telles que la synthèse vocale et AI Studio, sont largement répandues. Comme le fruit de l'objet digital généré en direct, le corps virtuel établit l'immanence pure de sa méthodologie par son attribut à la fois instrumental et personnel. Dans une telle ouverture, le corps virtuel et nous-mêmes deviennent un nouveau sujet esthétique s’appuyant sur l’« être-nous ». Nous explorerons les manières dont l'aura de la musique se manifeste dans l’apparaître de l’authenticité de l’objet digital sur scène, pour mieux comprendre la musicalité du corps virtuel. Antonia Soulez (Université Paris 8) « Quelle oreille fait siennes les tendances du matériau ? Par quelle « incorporation » ? » « Nous » dans la musique laisse supposer l’existence du « social en nous ». En contraste, Je montrerai que, à l’épreuve de la musique en particulier, rien de tel qu’un « esprit objectif » ne s’avère d'avance constitué comme « Nous ». La préférence est donnée à l’examen du processus de « faire nôtres » des formes : son, phrases …. Plutôt qu’à l’identité de « qui, Nous ». En « devenant » la chose à laquelle nous travaillons » (Merleau-Ponty), les « contributeurs » que nous sommes tendent à faire institution en « coopérant » (R. Sennett) à la manière de l’artisan ancien (démiourgos). Se pose alors la question de savoir quel « être de chose » (Merleau-Ponty) ils deviennent. Réévalué en termes de « faire » plutôt que d’être, l’énoncé de ce devenir par le travail privilégie un « comprendre-faire », dont le geste est orienté vers un « collectif » de pensée musicale tout en comportant un moment intrinsèque de non-compréhension distinct d’un contenu d’énigme. Rien d’ineffable n’explique cette « incorporation » de schèmes d’actes dont le savoir reste « tacite » (M. Polanyi) sur le mode du « comment » faire. Nous questionnerons ce travail au dessus de cette « zone indéterminée d’un non-comprendre », sur le chemin de la sensibilité à l’institution de formes dans les termes d’un savoir-comment (Valéry, Wittgenstein) en évitant en particulier l’illusion objectiviste de l’oeuvre au delà de l’expression. Draft de la conférence
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